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Avant-propos JULLIARD (Jacques)

lundi 21 septembre 2015

Notre numéro de 1993 — le onzième déjà ! — s’ordonne autour de deux grands centres d’intérêt : l’affaire Dreyfus et la correspondance de Georges Sorel avec Eduard Bernstein (1898-1902).

Sur l’affaire Dreyfus, on se contentera de renvoyer ci-dessous aux contributions à la table ronde que nous avons organisée le 5 février 1993 sur le thème : « Comment sont-ils devenus dreyfusards ou anti-dreyfusards ? » On verra dans l’article liminaire quelles étaient nos intentions et quelles conclusions on peut tirer de cette expérience. Nous espérons que cette manifestation, la première du genre dans le cadre du centenaire de l’Affaire, aura permis de renouveler un sujet rebattu, qui nous étonne toujours par sa richesse chaque fois que l’on se penche dessus.

Disons seulement que les pouvoirs publics, dans l’état actuel de nos informations, ne paraissent guère soucieux de marquer cet anniversaire d’un sceau officiel. Peut-être la célébration du bi-centenaire de la Révolution française aura-t-elle incité à la prudence, car il n’est pas certain que l’image de celle-ci en soit ressortie plus grande ou plus claire. Il était bien difficle à l’État, compte tenu de l’évolution des esprits, de présenter une syhtèse, au risque de mlamener nos sensibilités contemporaines. Paradoxalement, l’affaire Dreyfus, plus proche de nous, prêterait sans doute beaucoup moins à controvers. L’anti-dreyfusard est une espèce à peu près disparue. Raison de plus pour l’étudier, au même titre que le dreyfusard. Mais les historiens devront aussi marquer à cette occasion que, plus que l’événement lui-même, la mémoire de l’événement Dreyfus est constitutive de notre tradition républicaine et de notre conception des droits de l’homme. Même pour ceux qui, comme nous, ne l’ont pas vécue, l’Affaire fait partie, comme pour Péguy, de « notre jeunesse »...

Sorel-Bernstein : quel dommage — déplorons-le une fois encore ! — que Georges Sorel ait eu la mauvaise idée de ne pas conserver sa correspondance. Nous ne saurons donc jamais ce que le créateur du révisionnisme allemand répondait aux lettres si directes, si vivantes, que le solitaire de Boulogne lui expédiait, quel sort il faisait à ses conseils éclairés, à ces philippiques enflammées et parfois injustes, quelles réponses il donnait à ses aperçus presque toujours pénétrants, et généralement empreints de pessimisme sur le devenir du socialisme européen. A défaut d’enthousiasme, il y a chez Sorel constantes, une curiosité et une passion intellectuelles que rien ne saurait épuiser. Un esprit toujours en mouvement, à l’image de ceux qu’il admirait, Pascal et Bergson. Pour le reste, je renvoie au commentaire et aux précieuses notes de Michel Prat. Dans l’historiographie sorélienne, cette correspondance occupe une place particulière et fort excitante : elle correspond à la période où cet extrémiste de tempérament est devenu pour quelque temps un modéré de raison, sous les auspices de Millerand et de Bernstein, précisément.

Au moment de boucler ce numéro, nous apprenons, avec une grande tristesse, la mort de notre ami Léo Hamon, membre du conseil scientifique de cette revue et de la Société d’études soréliennes, qu’il a toujours soutenue, en esprit libre et généreux qu’il était. Pour en avoir maintes fois parlé avec lui, je puis dire ce que le jaurésien q’uil était appréciait en Sorel, c’était justement cette disponibilité de l’esprit, capable d’examiner d’un œil neuf toute situation nouvelle, toute idée originale, qu’elle qu’en soit l’origine. Nous ne verrons donc plus la vive silhouette de Léo Hamon s’ébrouer dans nos colloques dans un grand remue-ménage de papiers, de livres de correspondances, l’éventail de l’esprit toujours ouvert.

Sa vie durant — il l’a montré magnifiquement pendant la Résistance où son courage confinait parfois à la témérité — Léo Hamon s’est montré patriote intransigeant, ferme républicain, gaullo-socialiste avec constance ; et de surplus homme affable, causeur brillant, foncièrement désintéressé, plus à l’aise au fond parmi les intellectuels et les chercheurs que parmi les politiques. Léo Hamon a eu une vie dont les siens peuvent être fiers. Il va beaucoup nous manquer.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 11, 1993 : Comment sont-ils devenus dreyfusards ou anti-dreyfusards ?, p. 3-4.
Auteur(s) : JULLIARD (Jacques)
Titre : Avant-propos
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article21
(consulté le 21-09-2015)