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Hommage à Jacqes Julliard
mardi 28 novembre 2017
En 1988, Jacques Julliard publiait dans la prestigieuse collection « Hautes Études » (Seuil-Gallimard) un ensemble de travaux sur L’autonomie ouvrière qui témoignait – si besoin en était – du caractère novateur de ses recherches sur le « syndicalisme d’action directe ». Avec ce numéro 35 de Mil neuf cent, intitulé Cultures ouvrières, une boucle est bouclée qui vit Jacques Julliard, fondateur de cette revue, nous initier à Fernand Pelloutier, puis à Georges Sorel, deux grandes figures du syndicalisme révolutionnaire, et plus largement au syndicalisme tout court. En nous interrogeant sur ce qui fait encore l’originalité de la culture ouvrière, et sur son existence même, nous voulons prolonger notre réflexion sur des questions formulées il y a plus d’un siècle mais qui demeurent aujourd’hui de profonds sujets d’interrogations.
C’est en juin 1982, à l’issue d’un colloque sur Georges Sorel, que Jacques Julliard lança l’idée, avec Shlomo Sand, de créer une revue, des « Cahiers », au nom de ce personnage si singulier dans le paysage intellectuel et politique français. Les Cahiers Georges Sorel étaient nés. Nous n’étions que trois ou quatre au début de cette aventure, qui tous suivions le séminaire de Jacques à l’EHESS sur la gauche et la naissance du concept d’intellectuel. Très vite, le groupe s’est élargi jusqu’à constituer un comité de rédaction d’une dizaine de personnes. Comme dans tout comité de rédaction, les décisions se prennent collectivement, mais l’apport du directeur est primordial et il le fut. D’abord parce que Jacques Julliard a donné une âme et un dynamisme particuliers à cette revue. Revue annuelle, certes, mais qui existe depuis bientôt trente-cinq ans… Et c’est sur la longévité singulière de cette « petite » revue, devenue une référence, que nous avons voulu revenir un instant, alors que Jacques Julliard vient de passer la main tout en restant évidemment présent au comité de rédaction.
Dès le départ, nous avions décidé qu’il ne s’agissait ni d’être les hagiographes de Sorel, ni de se mettre à traquer le moindre écrit du grand homme à des fins de publication. Et nous avons vite compris que nous ne servirions pas la pensée de Sorel en essayant de la plaquer sur n’importe quel sujet, alors qu’en nous inspirant de la vie de cet homme, des moyens de diffusion de sa pensée privilégiés par lui et plus simplement des outils intellectuels utilisés ou forgés à cette époque (correspondances, colloques, universités populaires ou non, revues, etc.), nous pouvions braquer un formidable projecteur sur une période si riche en innovations. C’est la raison pour laquelle, après quelques années centrées sur la figure de Sorel, la revue a changé de titre en devenant Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, signifiant ainsi clairement l’élargissement de ses champs d’investigation.
À chaque étape de cette évolution, l’apport de Jacques Julliard a été fondamental au sens propre du terme. À l’époque sorélienne, Jacques ne nous a jamais laissés céder à la facilité qui consistait à publier des documents à l’intérêt douteux. Sous sa houlette, la revue a publié nombre d’études sur Sorel et de documents rares ou inédits de et sur Sorel, qui ont constitué autant d’apports importants à la recherche scientifique sur l’histoire intellectuelle et politique de cette période. Lorsqu’il s’est avéré qu’il n’y avait plus matière à faire des numéros centrés sur Georges Sorel, nous avons décidé collectivement de nous intéresser à la « période Sorel », c’est-à-dire de la fin du Second Empire jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale. Là encore, l’apport de Jacques Julliard fut décisif en nous incitant à ne jamais perdre de vue l’actualité potentielle des sujets choisis. La formation de Jacques Julliard, qui fut tour à tour et à la fois celle d’un syndicaliste, universitaire et éditorialiste, a été un aiguillon exigeant, auquel on doit incontestablement l’originalité de la revue et sa longévité.
Fort de son appartenance à plusieurs univers, Jacques Julliard n’a pas hésité à retenir au comité de rédaction des historiens aux spécialisations multiples – histoire culturelle et politique, histoire des sciences, histoire du droit, etc. – et des étudiants aux recherches doctorales innovantes. Ces regards différents portés sur le même objet ont été une grande richesse pour les débats liés aux publications et à l’orientation de la revue. Nos réunions ont souvent été le lieu de discussions passionnées, parfois discordantes mais toujours respectueuses, dans une ambiance chaleureuse et amicale, ce qui après tout n’est pas si fréquent. Le changement de direction, approuvé à l’unanimité par le comité, est d’autant moins un bouleversement que Jacques demeure présent, toujours attentif au devenir de cette revue qu’il a créée.
Le comité de rédaction