Revue d’histoire intellectuelle

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Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des revues, 1880-1914

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des revues, 1880-1914
Paris, Éd. de l’IMEC, 2002, 435 p.

DAGAN (Yaël)

Les revues sont un objet de recherche un peu paradoxal. Si elles sont reconnues comme un terrain privilégié de l’histoire intellectuelle, littéraire, politique et culturelle (en 1987 les Cahiers Georges Sorel ont consacré un numéro spécial aux revues dans la vie intellectuelle), leur étude pose néanmoins quelques problèmes méthodologiques que cet ouvrage ne néglige pas, d’où sa portée.

Dans son article « Un modèle matriciel : les revues de culture générale », Thomas Loué évoque d’abord le problème de la définition même de l’objet, le plus souvent pratiquée négativement – la revue n’est ni un livre ni un journal – et qui peut aller, dans son acceptation large, « du bulletin municipal à la “grande” revue parisienne à vocation internationale ». Loué étudie les revues généralistes, encyclopédiques et académiques dont le modèle est la Revue des Deux Mondes, à laquelle il a consacré sa thèse, en indiquant les écueils d’une telle entreprise, qu’il appelle habilement « l’illusion monographique », à savoir « les pièges du catalogue déroulant une suite d’études de cas ». Il entend échapper à ce piège en analysant les revues dans le temps long et en interrogeant sur les modalités de fonctionnement de l’espace public. C’est ainsi qu’il explique la survivance du modèle de la revue encyclopédique – dont les origines se trouvent au début du XIXe siècle – dans la Belle Époque qui a vu l’émergence de la culture de masse : le succès du modèle élitiste de la revue de forme « académique » témoigne de la résistance de l’élite à cette culture de masse, en même temps qu’il engendre des concurrences. La Revue des Deux Mondes, nous rappelle Loué, a connu deux apogées : les années 1860-1870 et les années 1930, c’est-à-dire la période proto-démocratique et celle de la crise démocratique, tandis que la Belle Époque était pour elle le temps des désarrois.

Car la Belle Époque est une période d’expansion extraordinaire de cet espace des revues, comme s’accordent à montrer toutes les études réunies dans ce livre, et que Jean-Yves Mollier résume ainsi dans la conclusion : « Ce qui frappe […], c’est l’impression qu’entre 1880 et la Grande Guerre, chaque catégorie sociale et chaque profession ont voulu disposer de leur propre source d’information ». La lecture de cet ouvrage permet en effet de mesurer la richesse et la diversité de ce phénomène sous des angles différents qui vont de la revue d’avant-garde littéraire aux revues politiques, scientifiques, sans oublier les revues appartenant à d’autres espaces nationaux.

Ce large panorama fait de ce livre une source susceptible d’intéresser des chercheurs dans des domaines très divers des sciences sociales ; pour qui se consacre à l’histoire de l’édition et des périodiques, il est indispensable. On espère, néanmoins, qu’après avoir tant investi dans l’étude des aspects matériels, institutionnels et sociologiques des revues, on reviendra, armé par ces acquis essentiels, à la lecture de ces revues aussi comme source de représentations et d’idées, comme une clé permettant d’accéder à des problématiques qui vont au-delà de la seule revue.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 22, 2004 : Enquête sur l’enquête, p. 235-236.
Auteur(s) : DAGAN (Yaël)
Titre : Jacqueline Pluet-Despatin, Michel Leymarie et Jean-Yves Mollier (dir.), La Belle Époque des revues, 1880-1914 : Paris, Éd. de l’IMEC, 2002, 435 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article79