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Rosemonde Samson, L’Alliance républicaine démocratique. Une formation de centre (1901-1920)

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Rosemonde Samson, L’Alliance républicaine démocratique. Une formation de centre (1901-1920)
Rennes, Pur, 2003, 562 p.

VENAYRE (Sylvain)

Résultat du travail d’une thèse d’État, ce gros livre s’articule autour d’une idée simple, que l’auteur s’emploie à démontrer : il existe des valeurs caractéristiques du centre en politique ou, pour le dire autrement, il existe une « culture centriste » et, au lendemain de la loi sur les associations de 1901, au temps naissant des partis politiques modernes, l’Alliance républicaine démocratique fut le creuset de cette culture.

Les hommes qui la constituèrent élaborèrent en effet progressivement un corpus doctrinal, dont Rosemonde Samson repère la généalogie qui, passant par le « Juste Milieu » de la monarchie de Juillet, remonterait jusqu’à Benjamin Constant. L’horreur du désordre, le rejet de tout dogmatisme, un profond libéralisme les ancrent dans la mémoire des droites. Les références ressassées à la Révolution française, aux droits naturels, au suffrage universel, la défense de la laïcité, le souci de la promotion sociale par l’école, en revanche, les situent dans la lignée des gauches. On pourrait objecter que, du parti radical et radical-socialiste à la Fédération républicaine, les doctrines des partis de cette époque composent toutes avec ce double héritage, qui constitue la culture politique commune des Français de cette époque. L’auteur répond que nulle part ailleurs que chez les « alliancistes » cette composition n’est aussi équilibrée ; et c’est de la mise en évidence de cet équilibre qu’elle tire celle de l’existence du centre en politique. Même s’il n’est pas encore objectivé à l’époque : entre 1901 et 1920, en effet, le « centre » ne fait pas partie du vocabulaire politique courant.

Avec une grande précision, l’auteur s’attache à suivre les prises de position des « alliancistes » tout au long des années 1901-1920. On les voit soutenir le ministère d’Émile Combes avant de réprouver « l’affaire des fiches », soutenir le gouvernement Clemenceau, tant dans son application de la loi de 1905 que dans la répression des mouvements sociaux, soutenir enfin – mais en s’en inquiétant – le gouvernement Caillaux. On les voit surtout accéder aux plus hautes fonctions de l’État : les présidents de la République Émile Loubet, Armand Fallières et Raymond Poincaré étaient de l’Alliance, comme ce fut le cas de cinquante et un ministres ou secrétaires d’État dans les cabinets formés entre celui de Waldeck-Rousseau (1899-1902) et celui de Georges Leygues (1920). Ce qui autorise R. Samson à poser la question : plutôt que d’une République radicale, ce temps ne fut-il pas celui d’une République centriste ?

Là pourtant n’est peut-être pas le plus intéressant. À cette analyse des idées et des comportements politiques, l’auteur joint en effet une étude fouillée des réseaux qui se sont assemblés pour constituer l’Alliance, et de ceux auxquels elle a donné naissance.

L’Alliance républicaine démocratique a ainsi longtemps revêtu la forme de l’association plutôt que celle du parti, faisant d’elle un lieu de sociabilité, dans la continuité de la tradition républicaine du XIXe siècle, plutôt qu’un mouvement politique moderne. Un fait digne de remarque, à l’appui de cette thèse : la formation a toujours veillé à ce que ses instances dirigeantes soient composées à nombre égal de parlementaires et de non parlementaires – plutôt une association de notables, donc, qu’un parti politique.

D’ailleurs, note finement l’auteur, au risque de faire exploser son propre objet, à bien y regarder, l’Alliance républicaine démocratique a-t-elle vraiment existé ? Ni au Sénat, ni à la Chambre, les parlementaires qui y étaient affiliés (on compte 39 députés en 1902, 130 en 1919) ne s’en présentaient jamais comme les porte-parole. Les candidats à la députation, dans leurs professions de foi, ne se réclamaient presque jamais d’elle. Tropisme des libéraux, qui les conduit à refuser l’embrigadement ? Peut-être. Témoignage, en tout cas, d’une culture politique originale que l’entre-deux-guerres conduisit progressivement au déclin.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 22, 2004 : Enquête sur l’enquête, p. 245-246.
Auteur(s) : VENAYRE (Sylvain)
Titre : Rosemonde Samson, L’Alliance républicaine démocratique. Une formation de centre (1901-1920) : Rennes, Pur, 2003, 562 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article86