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Anne Martin-Fugier, Les salons de la IIIe République. Art, littérature, politique,
vendredi 25 septembre 2015
Lectures
Anne Martin-Fugier, Les salons de la IIIe République. Art, littérature, politique,
Paris, Perrin, 2003, 376 p.
NETTER (Marie-Laurence)
Anne Martin-Fugier dessine un monde où les femmes ont joué le premier rôle depuis des siècles : en réalité depuis que cette forme de sociabilité a fait des salons une spécialité bien française. Le rôle primordial des femmes dans l’organisation et la tenue des salons n’est pas une surprise, c’est là le rôle traditionnel d’une maîtresse de maison qu’elle remplit avec plus ou moins de succès, plus ou moins de talent. Il est plus surprenant de voir à quel point l’influence d’un salon était directement liée à la personnalité de son hôtesse ; phénomène qui marque l’originalité de la société française qui pouvait accorder aux femmes une place non négligeable, à la jonction de la sphère du privé et du public, à condition qu’elles s’en emparent et sachent ensuite s’y faire reconnaître. Ces salons, comme lieu de sociabilité avec leur organisation stricte et leur code, leur singularité et leurs habitués sont bien connus depuis leur apothéose au xviiie siècle. Le grand intérêt de cette étude est de montrer dans quelles conditions l’institution perdure au début de la IIIe République puis décline avant même la Première Guerre mondiale, bien que l’auteur trace un chemin jusqu’aux lendemains des années cinquante non sans pertinence.
Les débuts de la IIIe République jusqu’à la fin des années 1890 marquent comme un nouvel âge d’or des salons : là se tissent les liens qui installent la République dans les mœurs, au sein de la société qui fait l’opinion par son influence économique, artistique et bien sûr politique. Les salons apparaissent comme le lieu où s’effectue la symbiose entre le nouveau et l’ancien monde, par la sorte de raffinement qui préside à leur tenue que ce soit dans le plus somptueux des hôtels particuliers aussi bien que dans le plus modeste des appartements. Les salons républicains et les salons monarchistes ne se mêlent pas vraiment, mais l’existence même des salons, qu’il faut fréquenter pour être reconnu, obligent les républicains à se frotter à un monde qu’ils n’auraient pas forcément fréquenté autrement. Ils rencontrent ainsi des grands bourgeois, comme les Scheurer-Kestner, des peintres, des hommes de lettres ou des musiciens qui partagent l’hospitalité de maîtresses de maison influentes qui ne demandent pas mieux que de jouer le rôle d’intermédiaire. Sous la houlette de Juliette Adam, Gambetta devient ainsi un homme presque policé et donc fréquentable au-delà de ses seuls partisans.
À côté des salons, Anne Martin-Fugier passe en revue les bals, les dîners, les jours où l’on reçoit, qui on reçoit et qui on évite, tout un ensemble de manifestations qui racontent la rencontre de deux mondes qui ne vont pourtant pas coexister longtemps ensemble. Les bals somptueux, comme ceux de la princesse de Sagan, sont les derniers feux d’un mode de vie léger, brillant et gratuit ; et ce n’est pas la guerre mais bien plutôt les premières manifestations sociales qui auront raison de ce monde hors du temps. Les dîners qui réunissent des artistes, des médecins, des avocats, des hommes politiques, des aristocrates sont l’endroit où on refait le plus volontiers le monde et leur succès semble aller grandissant. À l’inverse, les salons victimes peut-être de leur succès et plus sûrement du monde moderne, sont de plus en plus fréquentés pour l’utilité immédiate des liens qui peuvent s’y nouer, reléguant définitivement dans un passé révolu la sociabilité d’Ancien Régime.
Le livre d’Anne Martin-Fugier montre bien, et à travers de très nombreux exemples, comment les instruments de la sociabilité traditionnelle française ont joué un rôle déterminant dans l’adhésion des élites de l’époque à la République, phénomène original et intéressant.
Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 25, 2007 : , p. 230-232.
Auteur(s) : NETTER (Marie-Laurence)
Titre : Anne Martin-Fugier, Les salons de la IIIe République. Art, littérature, politique, : Paris, Perrin, 2003, 376 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article129