Revue d’histoire intellectuelle

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Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme
Paris, Grasset, 2001, 597 p.

THIERS (Éric)

Fruit d’une thèse remarquée, soutenue en 2000 à Sciences Po, cette biographie intellectuelle offre une référence solide à qui souhaite désormais aborder la figure controversée de Daniel Halévy (1872-1962). Dans un ouvrage dont les sources et la bibliographie témoignent de l’ampleur de la recherche accomplie, Sébastien Laurent nous propose de suivre le parcours de cet écrivain, issu d’une famille qui a toujours suscité l’intérêt des historiens [1], de son engagement dreyfusard à son soutien au régime de Vichy.

Comme souvent dans ce type d’exercice, l’auteur, en quête de l’unité profonde du personnage, tente de renouer le fil d’une vie. Il établit que cette unité réside dans le mépris constant de Halévy pour la démocratie – et particulièrement pour sa forme parlementaire –, dans son incompréhension du peuple que cet élitiste tente pourtant d’approcher, en vain, ainsi que dans la nostalgie d’un monde en voie de disparition, celui de son enfance vécue au sein d’une famille et d’un milieu privilégiés.

En suivant le parcours de cet inconnu illustre que fut Daniel Halévy, Sébastien Laurent aborde ainsi plusieurs champs historiques, qu’ils soient politique, social ou culturel. Ainsi l’auteur montre en quoi Daniel Halévy est emblématique de l’évolution d’un courant politique au sein duquel sa famille s’illustra, avec notamment Anatole Prévost-Paradol : le courant orléaniste ou libéral-conservateur, dont Guizot fut le principal représentant. Sébastien Laurent décrit, avec pertinence, comment cette famille politique se trouva dépassée par le XXe siècle et ses violents soubresauts pour sombrer finalement, en partie, dans un traditionalisme qui marqua la pensée de Halévy dans la seconde moitié de sa vie.

L’auteur nous rend également spectateur de l’ascension – sans doute atypique – de cette dynastie. D’Élie Halfon Lévi né en 1760 dans un ghetto près de Nuremberg à Daniel Halévy qui, d’une certaine manière, renia ses origines [2], nous assistons à l’assimilation d’une famille juive dans la société française.

Enfin, Sébastien Laurent ne néglige évidemment pas le parcours d’écrivain de Daniel Halévy. Son rôle dans le monde littéraire de la première moitié du siècle est abordé avec précision : la tentation du roman, les essais qui lui assurèrent une certaine renommée, la création des Cahiers verts chez Grasset en 1920… Sur ce sujet, l’auteur met en lumière, en particulier, l’impact de la critique et de la réception de ses œuvres sur la carrière littéraire de Halévy. En cela, il plaide pour une réflexion sur la limitation de l’autonomie de l’écrivain dans son activité créatrice, au travers notamment de la question de la politisation du champ littéraire après la Grande Guerre.

Même si certains développements auraient sans doute mérité d’être élagués pour faciliter la lecture de l’ensemble, cette biographie intellectuelle brasse des problématiques diverses, traitées avec rigueur. Elle nous invite assurément à poursuivre notre réflexion sur les rapports à jamais ambigus entre les élites intellectuelles et le peuple, Daniel Halévy illustrant à bien des égards le caractère insoluble de cette question.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 20, 2002 : Péguy et l’histoire, .
Auteur(s) : THIERS (Éric)
Titre : Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme : Paris, Grasset, 2001, 597 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article72


[1Pour preuve, le n° 17 de cette revue : Intellectuels dans la République.

[2Sur ce point, on aura la curiosité de se reporter à La place de l’Étoile de Patrick Modiano et au sort qui y est fait à Daniel Halévy.