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Vincent Duclerc, Dreyfus au Panthéon. Voyage au coeur de la République,

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Vincent Duclerc, Dreyfus au Panthéon. Voyage au coeur de la République,
Paris, Galaade, 2007

THIERS (Éric)

Si, parmi tous les ouvrages que Vincent Duclert a consacrés ces dernières années à Dreyfus et à l’Affaire 1, nous faisons le choix de présenter ce Dreyfus au Panthéon, c’est parce que ce texte sort de l’ordinaire. L’éditeur nous annonce que c’est un « livre citoyen » ; le terme, souvent galvaudé, n’est pas ici hors de propos. Ambitieux et foisonnant, ce livre de combat présente trois facettes principales.

C’est d’abord un essai d’ego-histoire. Duclert revient ainsi sur son propre engagement pour la réhabilitation de Dreyfus et son entrée au Panthéon. Il témoigne, de façon personnelle, de son action pour que Dreyfus n’apparaisse plus comme une victime, mais bien comme un acteur, un héros d’une république alors en construction et, plus universellement, héros des valeurs démocratiques. Ce témoignage est ainsi un document qui sera utile aux historiens de demain qui reviendront sur cette seconde réhabilitation de Dreyfus et sa signification dans la société politique et intellectuelle française du début du XXIe siècle.

C’est ensuite un essai d’histoire immédiate. L’auteur nous présente, par le menu, les conditions dans lesquelles le Président Chirac rendit à Dreyfus, dans la cour de l’École militaire, là où le capitaine fut dégradé, un hommage solennel en juillet 2006, cent ans après le fameux arrêt de la Cour de cassation. Il poursuit par l’évocation du combat mené, en vain, pour que Dreyfus repose au Panthéon. Est rassemblée ici toute une série de renseignements sur la manière dont cette histoire s’est déroulée. En cela, toutes proportions gardées, Vincent Duclert renoue avec ce qui caractérisa l’Affaire elle-même, une histoire écrite au moment même où elle se constituait et ce par les acteurs eux-mêmes, que ce soit Bernard Lazare, Reinach, Halévy ou Péguy.

C’est enfin un essai politique stimulant sur la démocratie française aujourd’hui. Duclert pose une question qui taraude notre pays depuis longtemps : notre République a-t-elle besoin de grands hommes, de héros ? L’incarnation des idées en politique est-elle une nécessité ? Autant de questions que Jacques Julliard avait d’ailleurs posées, sur un mode différent, dans Que sont les grands hommes devenus en 2004. Duclert n’a pas tort quand il considère que Dreyfus présente bien toutes les caractéristiques du héros démocratique : la résistance à l’oppression, à l’injustice, à l’appareil d’État qui broie l’individu. C’est un héros modeste à l’image de ce que doit être le démocrate.

Selon le mot célèbre de Péguy, l’affaire Dreyfus n’en finira jamais et Duclert montre, fort à propos, combien dans cet événement – dont le retentissement fut aussi mondial – et dans cette époque se construisirent les structures mêmes de la démocratie française. Cet essai contribue ainsi à cette réflexion engagée depuis quelques années sur les origines libérales – au sens politique du terme – de la République française qui remet en lumière des figures assez oubliées comme Renouvier ou Alain. Dans ce Panthéon républicain, Dreyfus ne dépare pas.


1. Entre autres : L’affaire Dreyfus, La Découverte, coll. « Repères », 1994, rééd. 2006 ; édition d’Alfred et Lucie Dreyfus, Écris-moi souvent, écris-moi longuement. Correspondance de l’île du Diable, Mille et une nuits, 2005 ; Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Fayard, 2006 ; Dreyfus est innocent ! Histoire d’une affaire d’État, Larousse, 2006 ; Savoir et engagement. Écrits normaliens sur l’affaire Dreyfus, Rue d’Ulm, 2007.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 26, 2008 : Puissance et impuissance de la critique, p. 166-168.
Auteur(s) : THIERS (Éric)
Titre : Vincent Duclerc, Dreyfus au Panthéon. Voyage au coeur de la République, : Paris, Galaade, 2007
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article142