Revue d’histoire intellectuelle

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Colette Chambelland, Pierre Monatte, une autre voix syndicaliste

vendredi 25 septembre 2015

Lectures

Colette Chambelland, Pierre Monatte, une autre voix syndicaliste
Paris, Editions de l’Atelier, coll. "La part des hommes", 1999, 191 p.

LORRY (Anthony)

On ne peut que se féliciter de la parution de la biographie de celui qui fut incontestablement une des grandes figures du syndicalisme français, malheureusement bien occultée.

Fils d’une dentellière et d’un maréchal-ferrant de la Haute-Loire, Pierre Monatte (1881-1960) fait ses premières armes de militant dans les milieux anarchistes du Nord et de la région parisienne à la fin du XIXème siècle. Il fait alors la connaissance des principaux leaders de la CGT (Griffuelhes, Pouget, Yvetot, etc.) et participe activement à la vie de la Confédération. Mais Monatte se distingue plus particulièrement par son inlassable activité journalistique et éditoriale. Dans la lignée de Pelloutier, il comprend très vite la nécessité de donner aux militants ouvriers des outils de compréhension des grandes évolutions du monde du travail. La petite revue grise qu’il crée en 1909, La Vie ouvrière, devient ainsi le centre de ralliement de la tendance syndicaliste révolutionnaire de la CGT.

Durant la Première Guerre mondiale, Monatte est mobilisé et passe la totalité du conflit en première ligne, tout en restant l’oppositionnel qu’il avait été dès la première heure. La Révolution russe constitue, pour lui comme pour bien d’autres, l’amorce d’un nouvel espoir. Reprenant la lutte syndicale en pourfendant les partisans de l’Union sacrée, Monatte participe aux débats liés à la création du Parti communiste, auquel il adhère durant une courte période. Il est cependant hostile à la scission syndicale, exprimant sur ce point une conception de l’unité du mouvement syndical qui sera constante. Prenant rapidement conscience de l’évolution alarmante du PCF et de la Russie soviétique, Monatte retourne à une position minoritaire particulièrement délicate, cherchant une troisième voie entre le réformisme et un communisme dont le groupe qu’il anime entrevoie assez rapidement les dérives totalitaires. Abandonnant la VO à la CGTU, Monatte fonde en 1925 La Révolution prolétarienne, revue qu’il animera également jusqu’à la fin de sa vie.

A vrai dire, il s’agit d’une biographie un peu particulière. Comme elle s’en explique dans une remarquable introduction, C. Chambelland a dû surmonter – au cours de l’élaboration de son ouvrage – des difficultés qui sont liées aux liens personnels qu’elle a pu entretenir avec celui qu’elle considérait comme « une sorte de grand-père choisi, estimé et aimé » (p. 10), et qui devait constituer plus tard son objet d’étude. D’autre part, les sources mises à contribution pour élaborer cette biographie sont uniques, puisque l’auteur a pu disposer des archives personnelles très complètes de Pierre Monatte, et surtout du journal qu’il tint quotidiennement jusqu’au matin même de son décès. C’est ce qui fait l’originalité de cette étude, qui allie la rigueur historique avec une approche psychologique particulièrement profonde. Au fil des pages, c’est la personnalité de Monatte qui affleure au gré des événements, parfois jusqu’à l’intime, comme c’est le cas durant la Première Guerre mondiale, qui est traitée au travers de la correspondance avec sa femme.

L’ouvrage de C. Chambelland apparaît ainsi tout à fait singulier, puisqu’il va au-delà de la biographie politique classique du militant ouvrier. En somme, un livre important qui ne peut qu’inciter à poursuivre l’étude de ce courant original qu’est le syndicalisme révolutionnaire.


Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 17, 1999 : Intellectuels dans la République, p. 179-181.
Auteur(s) : LORRY (Anthony)
Titre : Colette Chambelland, Pierre Monatte, une autre voix syndicaliste : Paris, Editions de l’Atelier, coll. "La part des hommes", 1999, 191 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article63