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Bruno Goyet, Charles Maurras
vendredi 25 septembre 2015
Lectures
Bruno Goyet, Charles Maurras
Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références/Facettes », 2000, 306 p.
VENAYRE (Sylvain)
Ce travail inaugure, aux Presses de Sciences Po, une collection de travaux biographiques d’un genre nouveau. Dirigée par Nicolas Offenstadt, cette collection n’est limitée ni à la France, ni à la période contemporaine. Elle apporte dans ce genre majeur de l’édition historique qu’est la biographie un souffle neuf, que l’on peut interpréter comme la conséquence de vingt ans d’histoire des représentations en France.
De quoi s’agit-il, en effet ? De recenser, avant d’entreprendre l’étude d’un personnage historique — en l’occurrence, Maurras — l’ensemble des représentations successives de celui-ci : celles qu’il a voulues donner de lui-même, comme celles auxquelles on l’a réduit. Les études napoléoniennes ont déjà fait leur un tel projet, dont témoigne par exemple l’ouvrage récent de Natalie Petiteau [1].
Il était sans doute logique que l’analyse critique systématique des textes biographiques commençât par une vie aussi souvent décrite, commentée et interprétée que celle de Napoléon Bonaparte. Il est tout aussi clair qu’une telle approche convenait parfaitement à Charles Maurras. Bruno Goyet donne ainsi à voir, dans toute la première partie de son ouvrage, le monumental édifice discursif qui a entouré et finalement masqué, jusqu’à aujourd’hui, la vie de Maurras — et auquel Maurras, le premier, a contribué. Il recense, en s’appuyant sur une parfaite connaissance de l’ensemble de ces textes, la multiplicité des images du personnage. Certes, dans un tel ouvrage, le risque du catalogue est toujours présent. Bruno Goyet l’évite habilement, en unissant les nombreuses réflexions nées de son énorme corpus par une problématique unique : celle de la simplification progressive de l’image de Maurras, finalement réduite à un repoussoir communément utilisé pour mieux montrer la complexité d’autres cheminements — ceux de Sorel, Bernanos ou Maritain, par exemple — par rapport au monolithisme supposé du doctrinaire du « nationalisme intégral ». Le travail de Bruno Goyet, à ce propos, ne laisse pas d’être sensible, tant il s’attaque souvent aux représentations charriées par les travaux des historiens les plus contemporains, de Raoul Girardet à Michel Winock, de René Rémond à Christophe Charle.
De cette façon, il prépare une lecture renouvelée de la vie de Maurras. Car, tel est bien évidemment l’intérêt de cette méthode : non pas proposer une nouvelle biographie du personnage, mais identifier — grâce aux récurrences, aux points d’accrochages, aux oublis et aux simplifications du discours biographique — les enjeux soulevés par sa biographie. Bruno Goyet analyse ainsi la place de la politique dans la vie de l’écrivain Maurras, la complexité de ses antisémitismes, le rapport entre ses idées politiques et son goût pour la vie de bohème, la signification des multiples condamnations dont il fut l’objet. Des réflexions qui sont autant de pistes de recherches, matrices probables de travaux ultérieurs.
Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 18, 2000 : Eugénisme et socialisme, p. 217-218.
Auteur(s) : VENAYRE (Sylvain)
Titre : Bruno Goyet, Charles Maurras : Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Références/Facettes », 2000, 306 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article67
[1] Natalie Petiteau, Napoléon, entre le mythe et l’histoire, Paris, Le Seuil, coll. « L’Univers historique », 1999.