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Antoine Prost, Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie Éd. du Seuil, « Points Histoire », 2004, 340 p.
lundi 21 septembre 2015
Lectures
THIERS (Éric)
C’est sous la figure tutélaire de Pierre Renouvin que ces deux historiens éminents – Antoine Prost et Jay Winter – ont choisi de placer cet essai d’historiographie, dont le titre semble renvoyer au Penser la Révolution française de François Furet, mais avec une ambition autrement plus modeste. Cet exercice de synthèse n’était pas inutile tant l’histoire de la Première Guerre mondiale a connu de profonds bouleversements et des débats vigoureux depuis près de vingt ans. Il s’agit pour les deux auteurs de revenir sur la manière dont les historiens ont pensé cet événement, génération après génération depuis près de cent ans. « Essai d’historiographie », tel est le sous-titre choisi par les auteurs. Il est vrai que rendre compte de l’ensemble des travaux historiographiques consacrés à ce conflit est une entreprise surhumaine. Le regard porté sur cette historiographie est donc partiel, essentiellement centré sur la France et le Royaume-Uni. On regrettera, à cet égard, les moindres références aux études allemandes, principal angle mort de ce travail. Dans ce foisonnement qui ne cesse de s’accroître au point de donner le « vertige », pour reprendre les termes des auteurs, cette mise en ordre est claire et éclairante. Se revendiquant de l’histoire culturelle, sans esprit de polémique, Prost et Winter font état de leur volonté d’embrasser de manière globale la Première Guerre mondiale mais en s’appuyant sur un discours modeste de la méthode. L’interrogation à laquelle les deux auteurs essaient de répondre est celle qui tenaillait déjà les intellectuels de 1914 : comment penser la guerre ? La diversité des approches et des travaux menés depuis 1918 montre que la réponse à cette question n’est pas univoque. Trois configurations historiographiques successives sont mises en perspective : militaire et diplomatique ; sociale ; sociale et culturelle. À travers ce prisme qui montre l’évolution des préoccupations épistémologiques au fil des générations d’historiens, il est proposé de répondre à six questions simples : Pourquoi et pour quoi la guerre ? Qui commande et comment ? Qu’est-ce que faire la guerre ? Comment faire la guerre industrielle ? Guerre ou révolution, guerre et révolution ? Pourquoi les civils ont-ils tenu ? Comment vivre quand on ne peut ou ne veut oublier ? Ce découpage qui ne permet pas toujours d’éviter des redites met cependant en lumière les évolutions historiographiques et les grands débats qui ont traversé l’histoire de la Grande Guerre : les origines du conflit, les mutineries, la mémoire combattante… Prost et Winter, acteurs eux-mêmes importants de cette historiographie, montrent parfaitement les apports récents de l’approche culturelle – au sens large – tout en refusant d’y voir comme une rupture épistémologique avec les démarches précédentes. La référence à Renouvin – ancien combattant, grand blessé de guerre et maître tout puissant de la « première » historiographie française de la Grande Guerre – est une manière de reconnaissance accordée à cette histoire « classique » qui, si elle a été profondément renouvelée, mérite encore notre attention. La mise au point est convaincante. Face à un événement monstre, il importe de pouvoir multiplier les angles de vue et de recourir à différentes focales pour espérer approcher un tant soit peu la réalité. Cet ouvrage est l’occasion de nous arrêter un instant en tant qu’historiens sur nos propres pratiques et au lecteur non spécialiste de mieux s’orienter à l’heure où la littérature consacrée à la Grande Guerre déborde en tous sens, pour le meilleur et pour le pire.
Cet article a été publié dans Mil neuf cent, n° 23, 2005 : "La guerre du droit"
1914-1918, p. 205-206.
Auteur(s) : THIERS (Éric)
Titre : Antoine Prost, Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie : Éd. du Seuil, « Points Histoire », 2004, 340 p.
Pour citer cet article : http://www.revue1900.org/spip.php?article34
(consulté le 21-09-2015)